La récente tendance d’attirer les cerveaux américains vers les universités québécoises, alimentée par les coupes budgétaires du gouvernement américain dans la recherche, révèle un rêve qui semble éloigné de la réalité du marché académique. Les dirigeants des institutions supérieures du Québec semblent croire en une opportunité d’embaucher des chercheurs renommés en profitant de cette crise, sans prendre en compte la complexité du paysage académique et les inégalités qui le caractérisent.
### Une perception erronée du marché universitaire
Il est important de remettre en question l’idée que les chercheurs américains se dirigent facilement vers des opportunités au Québec, comme si le marché de l’emploi académique était homogène et sans barrière. Les réalités des universités québécoises, souvent dotées de ressources limitées par rapport à leurs homologues américaines, compliquent considérablement tout processus d’attraction. Ce rêve d’attirer les meilleurs talents américains repose sur une vision simpliste des dynamiques du marché de l’emploi académique, où la notoriété et le prestige des institutions jouent un rôle clé.
### La stratification du marché de l’emploi académique
Des études ont démontré que le marché de l’emploi dans le secteur académique est profondément hiérarchisé. La réputation des établissements, le capital symbolique des universités et le réseau d’anciens élèves influencent les décisions d’embauche. Les universités qui offrent des conditions matérielles et humaines optimales continuent d’attirer les meilleurs chercheurs, tandis que les institutions avec des budgets restreints ont du mal à rivaliser. Ce phénomène n’est pas unique au Québec, mais il s’y manifeste avec une acuité particulière, accentuée par la compétition linguistique et géographique.
### Le rôle de la langue et de la culture dans les recrutements
Au Québec, les universités anglophones telles que McGill et Concordia se distinguent par leur ouverture aux recrutements internationaux, notamment en sciences sociales. Leur capacité à attirer des académiciens provenant de grandes institutions américaines et britanniques est bien supérieure à celle des universités francophones. Ces dernières, limitées par la langue d’enseignement, font face à un défi supplémentaire dans leur quête pour attirer des talents. Cela crée un écart significatif dans les opportunités d’embauche, où l’accès aux candidats internationaux varie considérablement en fonction de la langue d’enseignement de l’université.
### Des embauches très inégales
L’analyse des tendances de recrutement montre une forte disparité dans les pourcentages d’embauches internationales entre les universités francophones et anglophones. De 1990 à 2020, les universités anglophones ont embauché plus de la moitié de leurs professeurs étrangers, tandis que les universités francophones n’ont attiré qu’un tiers de ce nombre. Les chiffres révèlent une réelle hiérarchisation où les établissements de renom sont davantage en mesure de séduire des diplômés de grandes universités. Par conséquent, les réelles chances pour les universités francophones de recruter des chercheurs amorcent une quête difficile et hasardeuse.
### La répartition géographique et ses implications
La géographie des institutions universitaires joue également un rôle non négligeable dans leurs capacités d’embauche. Les universités situées dans de grandes villes, comme Montréal, proposent souvent des conditions d’enseignement et de recherche plus attractives. En revanche, les universités régionales peinent à offrir les mêmes garanties d’infrastructure et de ressources, ce qui les met en désavantage lors des processus d’embauche.
### Difficultés à attirer des chercheurs de haut niveau
Les aspirations de recruter les « meilleurs cerveaux » américains semblent disproportionnées face à des données concrètes. Les résultats des analyses quantitatives et qualitatives des embauches dans les disciplines variées, que ce soit en sciences sociales ou naturelles, montrent que les universités québécoises ne se sont guère élevées au-dessus des classements prestigieux. De fait, la provenance des docteurs, notamment ceux formés à l’étranger, illustre cette hiérarchie, où McGill et Concordia dominent largement le paysage académique.
### L’impact des politiques de recherche sur le marché académique
Les coupes dans le financement de la recherche aux États-Unis, bien que suscitant des espoirs chez certains dirigeants québécois, ne garantissent pas une forte migration des chercheurs vers le Québec. La probabilité d’une telle dynamique reste faible, surtout lorsque l’on considère le poids des inégalités et la structure déjà replacée des marchés de l’emploi académique. En somme, la recherche d’excellence académique qui nourrit cette ambition d’attirer des cerveaux est confrontée à des réalités plus nuancées et complexes que la simple envie d’utiliser une brèche dans un système en crise.